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80ième anniversaire de la Déclaration de Chivasso - Emile Chanoux et son rêve d'autonomie sur le modèle fédéral suisse.

Cette année marque les 80 ans de la Déclaration des représentants des populations alpines.
Déclaration de Chivasso: un manifeste historique qui postulait la constitution d’un État fédéral avec des demandes particulières d’autonomie pour les vallées alpines.

Mais quel genre d’autonomie et pour quelles populations?

C’est le 19 décembre 1943 : à Chivasso, carrefour entre les vallées du Nord-Ouest de l’Italie, se rencontrent secrètement les représentants de la Résistance alpine. Parmi eux Émile Chanoux –notaire de profession et figure emblématique des antifascistes et des fédéralistes valdôtains – et Ernest Page pour la Vallée d'Aoste ; Giorgio Peyronel, Mario Alberto Rollier, Osvaldo Coïsson,Gustavo Malan, représentants des Vallées vaudoises. Deux personnalités éminentes valdôtaines ne participent pas à la réunion : il s’agit de Lino Binel, emprisonné par les nazi-fascistes, et Frédéric Chabod, qui envoie ses opinions par voie écrite.
À une époque critique de notre histoire et de l’histoire mondiale, avant la fin de la Guerre et après 20 ans de domination fasciste en Italie, le besoin se fait sentir de jeter les bases d'un avenir plus radieux et "juste". Tout cela d'une manière qui tienne compte des collectivités territoriales, de leur autonomie institutionnelle, politique, administrative, culturelle et économique. A cet égard, il ne faut pas oublier la tentative d'"italianisation" de la Vallée d'Aoste pendant la période fasciste, qui visait à éradiquer la culture et les traditions locales au profit d’une centralisation totale de l’État.
La rencontre de Chivasso révèle une approche politico-culturelle différente entre Chanoux d’unepart, partisan du fédéralisme, et Frédéric Chabod d'autre part. Ce dernier insiste plutôt sur la nécessité que les vallées bilingues restent unies au futur État italien par le biais d’une autonomie purement administrative. Chanoux, au contraire, fait référence au fédéralisme et à l'autonomie basés sur un modèle cantonal comme celui suisse. La Déclaration de Chivasso peut être lue dans la perspective d'une revendication d'autonomie fondée sur le principe du fédéralisme comme instrument d'organisation de l'État et de la protection des droits des groupes ethniques mineurs. Un idéal d'autonomie qui ne se limite pas seulement aux vallées alpines, mais s'étend également à toutes les autres régions italiennes sous domination politique.

La question valdôtaine.
Quelques mois après l'armistice du 8 septembre 1943 en Italie, l'épineuse “question valdôtaine” reste à résoudre. Pour cette petite région alpine, quatre solutions possibles s’ouvrent : un «rattachement total» à la France (option ensuite écartée par De Gaulle); l’indépendance; le «rattachement à la Suisse» (l’option la moins probable mais soutenue par Chanoux) et l’autonomie. À plusieurs reprises pendant la guerre, Severino Caveri avait exprimé à Emile Chanoux la nécessité d'un choix précis «entre les trois formules possibles : autonomie, indépendance ou annexion» pour la future reconstitution du système politique valdôtain.
Dans la poursuite de son activité politique clandestine sous le régime, Chanoux évoque à la fois une condition d'indépendance totale de la Vallée d'Aoste et son entrée dans un État fédéral. Pour lui, la région peut faire partie de l'État italien seulement si une large autonomie politique, économique et culturelle lui est accordée. Chanoux propose comme modèle la Suisse. « Un régime fédéral, sur le modèle suisse, est une garantie de respect mutuel au sein des Etats et ducontinent européen ». Dans son document «Federalismo e Autonomie» de 1944, nous pouvons y lire : «Le fédéralisme représente la solution au problème des petites nationalités et la liquidation définitive du phénomène historique de l'irrédentisme [...] Un régime fédéral républicain sur une base régionale et cantonale est la seule garantie contre un retour de ladictature». Son point de vue diverge de manière essentielle de celui de Chabod, promoteur d’une Vallée d’Aoste qui continue à faire partie de l’Italie, à condition qu'on lui accorde un statut spécial qui « laisserait aux Valdôtains leurs libertés linguistiques, scolaires, judiciaires, et depresse ; dernière solution de repli au-delà de laquelle il ne peut y avoir de terrain d'entente». Nous savons bien que le cours de l'histoire n'a pas été favorable à la réalisation des idées de Chanoux. L’Italie n’est pas devenue un État fédéral comme la Suisse, l’Allemagne ou la Belgique, et la Vallée d'Aoste n'est pas non plus devenue le 27ième canton de Suisse.

Alors pourquoi le modèle suisse ?
Certes, à cause de sa proximité géographique, culturelle et linguistique à nos vallées et aux échanges entretenus depuis toujours entre les régions alpines. Mais pas seulement pour cette raison. Chanoux voit dans la Suisse « un exemple vivant d'un État profondément décentralisé, formé par divers peuples parlant diverses langues, appartenant à diverses religions, et pourtant un, d'une unité infrangible». Une unité liée à la liberté locale qui règne dans toute sonorganisation et dans les cantons : culturelle, linguistique, politique, administrative. Une unité que Chanoux souhaite voir réalisée en Italie sous forme d’État fédéré.
La Suisse est pour Chanoux aussi l’exemple de ce que l’Europe entière peut devenir après la Guerre, si ses peuples comprennent qu’il y a une histoire, une vie et un avenir communs. « Un régime fédéral sur le modèle suisse est une garantie du respect mutuel au sein des Etats et ducontinent européen». C'est d'ailleurs en Suisse que les principes théoriques du fédéralisme ont trouvé un terrain fertile pour s'enraciner et se développer. En outre, les travaux postérieurs à la Déclaration de Chivasso ont clairement montré que le projet fédéral revendiqué pour l'Italie devait s'inscrire dans un projet plus large de fédération de l'Europe.
Dans l’idéal de Chanoux, l’État italien doit s’organiser en régions, ou mieux, cantons confédérés– qui ne doivent pas être une "concession" de l'État, mais une manifestation de la volonté des populations. C'est pourquoi, dans le document de 1943, Chanoux insiste sur la nécessité d'accorder aux vallées alpines le droit de se constituer en communautés politico-administratives autonomes sur le modèle des cantons.

L’importance de la Déclaration de Chivasso à l’heure actuelle.
La Déclaration de Chivasso est souvent comparée au Manifeste de Ventotene de 1941, précisément en raison des idées de fédéralisme qui l'imprègnent. Ses auteurs y ont affirmé le droit à la liberté de langue et de religion comme une «condition essentielle à la préservation dela personnalité humaine», reconnaissant le fédéralisme comme la seule solution pour la coexistence entre des peuples de langue, de culture et de religion différentes, ainsi que la seulebarrière au retour de la dictature.
Au vu des événements des quatre-vingts dernières années, le projet original de Fédération alpine élaboré par Chanoux pourrait apparaître comme un projet raté : dans la période suivantela Seconde Guerre mondiale, on a assisté à une reconstruction des États-nations européens, mais pas d’une Fédération alpine ni d’une Fédération italienne. Pour la Vallée d’Aoste, un certain degré d’autonomie lui a été accordé en 1948 avec la constitution d’une Région autonome avec son propre statut. Loin d'être un canton "à la suisse", elle conserve néanmoins certains privilèges et compétences.
La vision fédéraliste et européenne de Chanoux reste toutefois d’une grande actualité. Bien qu'il soit désormais évident que la création d'un État fédéral en Italie et d'une fédération européenne n'est qu'une possibilité lointaine, son principe de base demeure. Pour les fédéralistes qui considèrent la création d'une Union politique et fédérale en Europe comme primordiale, l'idée défendue par Chanoux de la possibilité de coexistence imaginée par les petits peuples alpins, avec leur esprit fédéraliste, peut être une source d'inspiration importante.
Sophie Bionaz

« La visite au “Petit Recteur de Promiod” » : l’hommage d’Émile Chanoux à l’abbé Trèves.
Dans le roman Chez Jean Rolet, Jacques Vaillon, alter ego de Chanoux, se rend chez le « petit Recteur de Promiod » pour renforcer sa foi dans la cause valdôtaine

Comment expliquer le lien qui s’instaure entre un maître et son disciple ? Probablement, chacun de nous pourrait mentionner une personne qui a été une figure importante dans sa formation, quelqu’un que l’on a rencontré personnellement, ou qui a été un modèle inspirant par ses écrits, ses discours ou ses actions. À l’égard de ses propres maîtres de vie, on éprouve un sentiment de gratitude profonde et on aimerait exprimer sa reconnaissance aux modèles que l’on s’est proposé de suivre.

C’est précisément ce propos qui pousse Émile Chanoux à inclure dans son roman Chez Jean Rolet un paragraphe consacré à la visite de son alter ego Jacques Vaillon au « petit Recteur de Promiod », l’abbé Joseph-Marie Trèves.

Au cours de sa vie, l’abbé, qui a choisi de se déplacer d’un village à l’autre pour se faire propagandiste de la cause valdôtaine, est deux fois recteur, à Planaval et à Promiod. Dans ses « nids alpestres », comme les définit Mario Trèves dans sa biographie, il mène une vie de pauvreté et d’activisme qui émeut le protagoniste du roman de Chanoux, Jacques Vaillon.

Celui-ci se rend chez le Recteur dans un moment d’égarement : revenu à Aoste de Milan, où il a terminé ses études, après une période d’hostilité à l’égard de sa terre d’origine, il revient sur ses pas. Il se tourne vers l’ « amour du pays » et la lutte pour la liberté et l’autonomie d’un peuple qui est de plus en plus détaché de son passé et des traditions qui le rendent unique.

La confusion persiste, mais, dans un moment de découragement, Jacques tombe sur les écrits de Trèves, notamment Une injustice qui crie vengeance - un pamphlet contre la suppression d’un grand nombre d’écoles en Vallée d’Aoste - et Écrivons l’Histoire de notre Paroisse. « Voilà un homme qui agite courageusement le flambeau et alimente la flamme au milieu de l’apathie croissante, qui engourdit tant d’autres » : Jacques est impressionné par le patriotisme du « petit Recteur », et souhaite le rencontrer personnellement.

Heureusement, quand on habite en Vallée d’Aoste, hier comme aujourd’hui, il n’est pas difficile de rencontrer son modèle en personne, même s’il s’agit d’une figure importante. Ainsi, Jacques se rend à Promiod le lendemain, pour rencontrer l’humble prêtre, qui l’accueille chaleureusement dans son habitation modeste. Jacques admire tout de suite la simplicité et la rectitude de l’abbé Trèves. Celui-ci emmène un seul verre pour le vin, car il continue à s’abstenir de boire, même si la société contre l’alcoolisme qu’il a fondée n’existe plus.

L’alcoolisme est loin d’être le seul problème pour lequel le prêtre s’engage. Quand Jacques lui avoue sa démoralisation face à la situation valdôtaine, le visage du Recteur « s’enflamme, d’un geste énergique de la main, il repousse les manches de sa pauvre soutane, comme s’il voulait se délivrer de toute matière » et il prononce un discours plein d’espoir et de vigueur.

« Soyons tétragones ! Pro aris et focis ! » : l’abbé Trèves encourage Jacques en citant les célèbres vers de Dante, qui, dans la Divine Comédie, souhaite être « ben tetragono ai colpi di ventura » (Par. XVII). « Pro aris et focis » est, par contre, l’une des expressions typiques de l’abbé, indiquant, comme l’explique Mario Trèves, « les deux grands amours vers lesquels tendaient tous ses efforts […] : “la religion et le pays” » . 

La Vallée d’Aoste, selon le prêtre, doit être sauvée à tout prix, et pour y arriver la seule solution possible est de réunir tous les Valdôtains en un seul bloc. « Je ne trouve rien de plus beau, de plus logique, de plus chrétien ni de plus valdôtain, que de chercher à s’entendre, à se comprendre, à s’entraider, entre compatriotes, qui sentent le devoir de travailler et de se consacrer humblement, mais tenacement à l’action publique ». 

C’est surtout aux jeunes valdôtains que l’abbé Trèves s’adresse, car on peut trouver en eux l’enthousiasme nécessaire pour redresser la situation de la Vallée d’Aoste. « Une magnifique fleuraison (sic) de jeunes Valdôtains (et je pourrais te les nommer) pensent, espèrent, travaillent, se sacrifient pour ce même idéal! Tu vas entrer dans la lice toi aussi ». Derrière cette invitation du Recteur à Jacques Vaillon, se cachent les germes de l’adhésion de Chanoux au mouvement local de la Jeune Vallée d’Aoste, fondé par Trèves en 1925.

Progresser en se basant sur le passé et suivre l’exemple de l’abbé Trèves, qui a travaillé « à sortir du “bouddhisme” et du silence et à renoncer à la dignité officielle pour [se] livrer au travail simple et vulgaire du propagandiste valdôtain » . Ce sont les dernières leçons données par le Recteur à Jacques Vaillon, avant de lui offrir un petit goûter « alpestre » .

Les deux se laissent en entonnant une chanson traditionnelle. L’abbé Trèves, considère, en effet, la chanson comme un bon moyen de sauvegarder le français, ce qui le pousse, en 1926, à faire publier un Chansonnier valdôtain. « Oui, mon cher Vaillon, vienne la Chanson, mais la bonne Chanson ! réjouir notre existence, embellir nos réunions et nos fêtes, dissiper nos tristesses, fusionner les cœurs et répandre au sein de tous les foyers de notre Vallée, depuis les palais de la Cité jusqu’aux plus humbles chaumières de nos hameaux, la joie, la paix et l’amour ! ».

Bref, dans ce petit récit, on peut retrouver toute l’affection de Chanoux à l’égard de l’abbé Trèves, véritable guide pour toute une génération de jeunes valdôtains. À une époque où la population valdôtaine, avec sa langue, ses traditions et ses valeurs, était considérée une présence étrangère en Italie, l’abbé Trèves encouragea les Valdôtains à s’engager et à lutter coûte que coûte pour l’avenir de leur territoire. « Car on est vaincu seulement, quand on se résigne à l’être »
Elena Del Col

De la vallée de Vertosan la bonne cuisine est servie !
L’expérience de Denise Marcoz

En s’approchant à la vallée de Vertosan, une fois quitté le petit lac de Joux, l'œil se perd immédiatement dans l'immense étendue de verdure qui recouvre le fond plat de la vallée et, d’une part à l'autre, les flancs de la montagne. La longue piste serpente au fond de la vallée jusqu'au départ des sentiers menant aux lacs, bivouacs et cols. Le calme règne, le sifflement occasionnel d'une marmotte brise le silence, alertant le groupe d'une présence anormale.

On a l'impression d'être dans un lieu " ailleurs ". Un environnement rural, préservé, où la nature règne en maître. On dèpasse les petits groupes de maisons, anciens villages isolés qui, malgré le poids des mètres de neige qui tombent chaque hiver, ont résisté dans le temps. Ici, avec un peu d'imagination, on a l'impression de revenir à une autre époque. J'aime imaginer ce même village au Moyen-Âge. Une marmite qui bout, des bouquets d'herbes suspendus, des enfants qui jouent dans les prés. C'est un lieu enchanté, presque féerique.

En continuant à travers les étendues herbeuses couvertes de fleurs et les boucles du cours d'eau, nous arrivons presque au fond de la vallée et, peu à peu, nous commençons à apercevoir un ensemble d'habitations. Le petit hameau de Jovençan nous accueille au terme de cette paisible promenade. Autour d'un corps central, d'autres petites maisons en pierre et bois gravitent comme des satellites. Cet ensemble forme l'auberge-restaurant lo Gran Baou, une destination touristique connue, populaire et réputée. Ici, dès l'extérieur, on ressent la chaleur qui se dégage de ce lieu. La maison de la famille Marcoz est devenue la maison des hôtes qui s'y arrêtent chaque année, certains pour un déjeuner joyeux, d'autres pour se rafraîchir après une longue randonnée, d'autres encore pour passer la nuit dans les chambres accueillantes.

Denise Marcoz est la propriétaire du restaurant et de la maison d'hôtes Lo Grand Baou. Denise est une hôtesse serviable et compétente.
Denise, pourquoi avez-vous décidé de devenir gérante d'un restaurant et d'une maison d'hôtes aussi particuliers ?
<< Le cœur a des raisons que la raison n'a pas. Ce n'était même pas une décision, mais une évolution naturelle au sein de la famille. La passion pour la recherche des produits et des matières premières a commencé avec mon père et je dirais presque naturellement qu'elle s'est poursuivie avec moi >>.

Pouvez-vous retracer l'histoire de ce lieu ? Quand avez-vous ouvert officiellement et comment Lo Grand Baou a-t-il évolué au fil des années ?
<< Tout le village de Jovençan a été abandonné après la guerre, car les écuries d'alpage avaient été déplacées plus en amont, au Tronchey. Mon grand-père et mon père ont décidé en 1971 de renouveler et de transformer notre maison en bar et restaurant. Ils ont ouvert en 1973, alors qu'il y avait très peu de touristes et que la route n'était qu'un chemin pour les tracteurs. Petite anecdote : durant l'été 1976, le célèbre journaliste Giorgio Bocca passe par Jovençan et demande à mon père un " steak alla valdostana ". Mon père lui répond que le " steak alla valdostana " n'existe pas, et s'ensuit une explication sur la cuisine traditionnelle. Le lendemain, un article sur la cuisine du montagnard paraissait dans La Repubblica ! Petit à petit, les autres propriétaires remettent en état les maisons environnantes et nous parvenons à acheter, pièce par pièce, toute la partie arrière de Lo Grand Baou, que nous avons renouvelée et transformée en maison d'hôtes en 2012. Cette année, nous avons célébré nos 50 ans d'activité par une grande fête ! >>.

Le restaurant est situé au fond de cette belle vallée. Pouvez-vous décrire votre lien avec Vertosan et le petit hameau de Jovençan ?
<< C’est Chez Moi ! Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'ajouter quoi que ce soit d'autre, si ce n'est que le plaisir de le partager avec les hôtes, le plaisir de raconter l'histoire des lieux, de faire connaître la beauté de ces lieux aux habitants de la Vallée d'Aoste et aux touristes >>.

Quelles sont les difficultés liées à la gestion d'un restaurant dans une vallée de montagne ? De même, quelles sont les satisfactions ?
<< Les difficultés pratiques sont nombreuses. Tout d'abord, l'absence totale de services : il n'y a pas d'égouts, pas d'électricité, pas de réseau téléphonique, la route n'est pas asphaltée, les commerces sont éloignés, il n'y a pas de livraison à domicile possible, et il est difficile de trouver du personnel qui veuille bien s’isoler. Cependant, la satisfaction est inversement proportionnelle aux difficultés. En fin de compte, notre travail consiste à faire en sorte que les gens se sentent bien. L'environnement montagneux nous donne un bon coup de pouce à cet égard >>.

Quelle importance et quelle signification a eu pour vous le fait de redonner vie à ce qui appartenait à votre famille ?
<< En réalité, je ne lui ai pas redonné vie. L'endroit a toujours été habité et vécu depuis l'époque romaine. Au Moyen Âge, c'était un passage fréquenté, puis toujours utilisé comme alpage. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il a servi de refuge à la formation des partisans de Vertosan, avec Don Romano Maquignaz. La dernière destination, celle touristique, est un peu l'évolution du temps et il est toujours agréable de pouvoir le faire dans un lieu si cher et si chargé d'histoire >>.

Cultiver, élever, conserver, préparer : que signifie pour vous le lien avec la terre, le respect des rythmes de la nature, la sauvegarde de l'environnement ?
<< Nos plats sont tous préparés avec des produits provenant des agriculteurs du Val d'Aoste. Ils ont le mérite de suivre les rythmes naturels. Il y a certainement un lien fort entre le contenu du plat, l'environnement qui a permis la production et le savoir-faire de l'agriculteur et de l'éleveur. La fusion de ces passions est alors perçue par vous tous qui venez nous rendre visite chaque année >>.

Enfin, Denise : qu'est-ce qui vous fait le plus plaisir dans votre travail ?
<< La relation avec les gens, le fait de discuter avec eux et de connaître des mondes différents. Par exemple, j'ai une cliente japonaise âgée de l'archipel d'Okinawa, l'archipel des centenaires, qui m'a apporté cet été un coquillage que son frère a ramassé au fond de la mer pour l'accrocher à notre porte en guise de protection, un peu comme la croix traditionnelle. J'aime bien appeler cela " la voie de la polenta ! " >>.
Valentina Pietroni

Les échecs et la communauté échiquéenne en Vallée d’Aoste
Des gloires du passé à la timide subsistance d’aujourd’hui. La renaissance mondiale du jeu d’échecs n’a-t-elle pas atteint le territoire régional ?

Hier,
Si dans le passé les échecs ont eu leurs années de gloire en vallée d’Aoste, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous pouvons compter un grand nombre d’évènements échiquéens sur le territoire régional au fil des années. Sous la direction et grâce à la dévotion de M. Agostino Scalfi, on a pu compter de nombreux évènements, depuis 1977 jusqu’au début des années 2010. Entre les tournois Nationaux aux opens de la Vallée d’Aoste, on compte des grands noms des échecs internationaux et un nombre de participants très conséquent. Les Grands Maîtres se sont défiés aux tables au Casino de Saint Vincent, dans les années dont le plus fameux d’entre eux le GM et ex-champion du monde Anatoly Karpov. La fréquentation des tournois a toujours été très intense. Pour certains évènements, on peut compter jusqu’à 600 participants notamment pour les opens juniors. C’est en tout, plus de 70 évènements en moins de 40 ans, tournois, opens, et championnats confondus.

Aujourd’hui,
Si une communauté échiquéenne subsiste en vallée, le retrait de l’organisation du passionné Scalfi laisse une organisation en berne, l’absence de tournois et d’évènements est évidente. Mais les échecs ne sont pas morts pour autant. En effet, vous pouvez retrouver les membres du groupe qui s’affronte encore aujourd’hui rue Elter auprès de la Bocciofila du Quartier Cogne, ou encore au bar Vuillermaz. L’été, deux tournois non homologués ont lieu dans la vallée du Cervin avec un tournoi à Antey et l’autre à Cervinia. Le paradoxe étant la popularité mondiale, jamais atteinte comme à ce jour avec les échecs, et, en même temps, la désertion régionale de joueurs et de son apprentissage. En effet, la fréquentation du site le plus connu pour le jeu en ligne, Chess.com a enregistré des records avec notamment plus de 100 millions de membres fin 2022 et 31 millions 700 mille parties jouées sur la seule journée du 20 janvier 2023.

En Vallée d’Aoste, il faudrait une renaissance totale du comité avec une figure à sa tête motivée et passionnée pour reprendre un héritage aujourd’hui endormi et reporter le territoire régional sur la scène internationale des tournois d’échecs sans compter l’acquisition de jeunes joueurs, peut être prodiges de demain.

La renaissance des échecs au niveau mondial
Si beaucoup de personnes pratiquent les échecs, il faut savoir qu’il s’agit du jeu le plus ancien, comptant plus de mille cinq cents ans. Un jeu ? Plus vraiment, il est en effet reconnu par le comité olympique comme un véritable sport. Malgré cette reconnaissance, on peut voir qu’au niveau national comme régional, il existe une nette différence et une hiérarchie injuste sur la promotion des différents sports. Les échecs disposent en effet d’un avantage sur beaucoup d’autres sports, ils permettent la pratique à quiconque, sans distinction d’âge, de classe sociale, ou de condition physique mêlant tous les joueurs, de tout horizon autour d’un échiquier où seul ce qui se passe sur l’échiquier compte.
Beaucoup de personnes se sont rapprochées des échecs grâce à la série Netflix « Le jeu de la dame » sortie, avec un certain timing, pour le confinement, (The Queen’s Gambit, en VO, reprenant le nom d’une ouverture du jeu, le Gambit Dame). Beaucoup d’écoles et d’instituts scolaires disposent d’un club d’échecs dirigé généralement par un membre de l’équipe pédagogique de l’établissement, notamment en France. Le problème soulevé lors ‘un entretien téléphonique avec M. Lyabel sur l’absence actuellement de clubs et de campagnes de promotion serait « la présence nécessaire d’un instructeur d’échecs, avec un titre FIDE officiel donc d’instructeur ou plus », or il serait suffisant d’un connaisseur du jeu pour l’apprentissage des rudiments et la promotion de ce sport. En outre, peu de matériel est nécessaire, si des échiquiers homologués coûtent moins d’une vingtaine d’euros, un simple ordinateur scolaire suffit. Il est prouvé, en effet, que plus un joueur commence jeune, plus il a des chances d’atteindre un bon niveau déterminé au niveau international par l’ELO que l’on peut obtenir grâce aux tournois homologués par la Fédération internationale des échecs, la FIDE. Internet aidant, aujourd’hui il suffit d’un clic pour avoir accès à des adversaires et jouer en ligne, mais on trouve également une très grande diversité de contenu pédagogique dans toutes les langues (Eric Rosen pour les anglophones ou BlitzStream pour les francophones), tous deux offrent des centaines d’heures de vidéos sur leur chaîne YouTube. Pour ce qui est des sites pour le jeu, les deux principaux sont Chess.com et Lichess, le deuxième étant totalement gratuit et OpenSource.
Pour la population valdôtaine curieuse d’apprendre à jouer, ou pour les joueurs aguerris, rapprochez-vous de la Bocciofila ou du bar Vuillermaz pour entrer en contact avec le groupe de joueurs présidé actuellement par Mauro Lyabel. Qui sait, peut-être que les échecs peuvent renaître en Vallée d’Aoste aussi ? Suffirait-il pour cela d’une véritable campagne de promotion de ce sport et d’un budget pour héberger des cours dans une infrastructure adaptée ?
Sébastien Linty

Les mystères de la Vallée D’Aoste
La légende inconnue de Tsandzon de Pontey

La tradition valdôtaine est riche en sagas et en contes de fées qui évoquent le charme des veillées d'antan, dont la légende des Tsandzon, les premiers habitants de la vallée.

Dans une certaine zone de la Vallée d'Aoste, sur le côté droit de la dora Baltea, à l'envers donc, au-dessus de Pontey, vivaient de mystérieux habitants appelés Tsandzon, ou les hommes de borne. Il y avait généralement deux hypothèses sur leurs origines, la première affirmait qu'il s'agissait de tribus primitives qui n'avaient jamais été complètement intégrées par la population civile de Pontey et qui se cachaient donc dans l'épaisse et vaste forêt, l'autre qu'il s'agissait d'hommes préhistoriques qui avaient survécu dans cette zone de la vallée, et n'avaient jamais vraiment évolué. Les habitants de Pontey les appelaient aussi gnomes. En effet, selon des récits et des témoignages transmis, il existait un tout petit village au-dessus du hameau de Bovaye, près du torrent Molina, caractérisé par des maisons très petites et basses.

Mais, la zone principalement habitée, au-dessus du village de Pontey, par ces êtres inconnus était aussi la vallée de la Valmeriana, accessible uniquement par un chemin agricole créé bien des années plus tard.

La Valmériena, cachée dans le grand cercle glaciaire, était dotée de sources et de pâturages. Bien insérée dans le monde alpin, elle communiquait avec d'autres vallées, comme celle de Champdepraz. Les conditions environnementales étaient idéales pour le pâturage des moutons et des chèvres, qui parcouraient la vallée et les crêtes rocheuses.

La présence humaine dans cette vallée de terres silencieuses et lumineuses est attestée depuis la fin de la préhistoire et confirmée par des découvertes occasionnelles.

Les découvertes les plus importantes ont été faites à Tsanté de Place, en 1974-1975, près du hameau de Margnier, à quelques kilomètres de Pontey, où une pierre ornée de symboles

anthropomorphes a été mise au jour. En 1963, dans la région de Pontey, une tombe creusée dans la roche d'environ deux mètres de haut a été découverte au lieu-dit Proley, au sommet d'un gros rocher dépassant du flanc de la colline. Un sépulcre monolithique.

Mais la Valmeriana ne s'arrête pas là, la légende se poursuit avec la découverte de carrières et de meules, exploitées dans l'Antiquité. Il s'agit de blocs de granit schisteux chlorites utilisés pour fabriquer les meules qui étaient vendues dans toute la basse vallée au XVIIIe siècle.

Selon la tradition, ces petits hommes rendaient fertiles les vignobles des Pontesans, en

empêchant le torrent de déborder et en transportant, pendant la nuit, les scories de la mine de fer. Ils gardaient aussi, de leur baguette magique, les nombreux ponts construits sur le torrent Moline, faisant couler l'eau pour l'irrigation des vignobles. Ils épargnaient aux habitants de Pontey le lourd labeur de fertiliser et d'irriguer ces terres, les gardant ainsi très fertiles. Tout en chantant des mélodies enchanteresses en harmonie avec le murmure de la Dora et l'écume de la Moline.

Ces petites créatures se consacraient principalement à la culture de la vigne et à la création d'un vin spécial, obtenu près des eaux du ruisseau Molina. Ils étaient cueilleurs et se nourrissaient de ce que la nature leur offrait, mais faisaient parfois des incursions dans le village avec l'accord tacite de la population de Pontey. L'aide de ces deux populations très différentes était réciproque.

L'une des histoires dont on se souvient le mieux est celle qui est transmise de famille en famille, en l'occurrence par la famille Tillier, originaire de Pontey, où deux sœurs nous racontent l'émerveillement et parfois la peur qu'elles ont eue pour cette histoire. « Je n'ai pas pensé à ces histoires depuis longtemps, elles ont toujours eu un semblant de vérité » raconte la sœur aînée Tillier « deux enfants se sont perdus dans la forêt dense de Pontey, l'un était blessé, la nuit tombait et le froid arrivait. Les enfants, morts de peur, s'étaient réfugiés sous un gros rocher » rocher qui apparaît aussi dans la légende du village. « Maintenant désespérés, les enfants s'aperçurent qu'une petite silhouette s'approchait d'eux. Sans dire un mot, cette ombre enveloppée de nuit prit l'enfant blessé dans ses bras et, faisant signe à l'autre, les conduisit jusqu'aux portes du village en appelant à l'aide ».
Matilda Cosentino

Le trésor de la “Millenaria”
Un voyage à travers l’histoire et l'atmosphère de la Foire de Saint-Ours

Avec son histoire millénaire, ses produits traditionnels, son artisanat de très haute qualité, ses délices et son atmosphère pleine de joie, la Foire de Saint-Ours a conquis le rôle de l'événement le plus célèbre de la Vallée d’Aoste.

L’histoire de cette curieuse fête commence avec la vie saint du même nom qui est venu de la lointaine Irlande. Il est connu pour sa sincère simplicité, sa force d'âme et ses missions de conversion au catholicisme de toute la région au cours de cinquième siècle. Autour de l’année 1000, la ville d’Aoste construit une collégiale en mémoire de ses nobles actions. Cette date est aussi considérée, par convention, l’année de début de la foire. Selon la tradition, saint Ours est connu aussi pour la création des typiques chaussures en bois réalisées comme signe d’attention et de charité envers les pauvres de son époque, les sabots.

Le 30 et 31 janvier de chaque année sont les deux jours dédiés à cette manifestation spéciale qui remplit la ville d’Aoste de joie, dynamisme et beaucoup d’objets uniques créés par les artisans de toute la vallée. Dans l’Atelier on peut admirer la créativité des artisans professionnels qui réalisent des œuvres remarquables comme la coupe de l’amitié, les tatà et les paniers tressés.  Dans le délicieux pavillon oenogastronomique on peut déguster et acheter du vin local et les nombreuses douceurs de la succulente cuisine valdôtaine. Enfin, beaucoup de petits stands rouges où des centaines d'exposants montrent au public leurs créations artisanales s’ensuivent dans un parcours qui traverse toute la ville.

La Saint-Ours est aussi un voyage à travers les arts et les métiers des chaussures et tissus connus comme chef d’oeuvres et symboles uniques de la région : les Dentelles en lin de Cogne, produits avec soins et attention hypnotique depuis les XVIe siècle, les souples Draps en laine de Valgrisenche, des couvertures idéales contre le froid de l’hiver, le Chanvre de Champorcher, utilisée comme une toile pour les vêtements et les accessoires, et les beaux Sock-Pioun de Gressoney, des pantoufles confortables avec des couleurs vives et, souvent, des motifs floraux ou des symboles des populations Walser.

En présentant toutes ces créations, son atmosphère portatrice de fantaisie, couleurs et émotions, à travers l’histoire d’un des plus importants saints protecteurs , la Foire de la Saint-Ours est sûrement la meilleure idée pour découvrir et explorer notre si petite mais surprenante Vallée d’Aoste.
Giuseppe Varone

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